Institut pour les relations étrangères

Art actuel du monde islamique - Accueildeutschenglish Universes in Universe - HomeUniverses in Universe - HomeUniverses in Universe - Home

Édition 5 - Janvier 2004

9e Biennale du Caire: Passe moi un ballon
Par Iolanda Pensa

Archive:

Expositions

Kunstpalast, © Photo: Iolanda Pensa

>> Photos, oeuvres

Un homme assez sérieux d’une cinquantaine d’années fait le tour de la Biennale du Caire avec un imperméable sur le bras et un ballon dans la main. Il passe devant les pyramides éternelles, glisse sur le sable (éparpillé ci et là, probablement en évocation des déserts orientaux), et regarde d'un air un peu perplexe des images de chevaux accrochés au mur. Le ballon rose qui se promène avec lui comme un drapeau est imprimé d'une citation en Arabe d’Anaïs Nin "Nous ne voyons pas les choses telles qu'elles sont, mais telles que nous sommes." Cominciamo bene.

La neuvième édition de la Biennale du Caire: incroyable! Tant que ça, malgré la mauvaise santé chronique de l'évènement! La Biennale du Caire souffre d’être plus intéressante au niveau politique et social qu'au niveau artistique (plus particulièrement en ce qui concerne la participation égyptienne et arabe).


Ce qu'il y a de meilleur à la Biennale

Laissez-moi commencer avec les oeuvres d'art les plus intéressantes. Les ballons de Johanna Kandl (pavillon autrichien) sont sans aucun doute la meilleure idée de toute l'exposition: ils flottent entre les visiteurs, se glissent dans des situations conspiratives et allègent l'atmosphère en tournant le public au ridicule. Chaque ballon est imprimé d'une citation en Arabe qui pèse assez pour que vous vous sentiez imbibé de sagesse en la portant et que vous soyez embarrassé à ne pas pouvoir la lire.

>> Photos, oeuvres

9e Biennale
internationale du Caire

13 décembre 2003 -
13 février 2004

Le Palais des Arts (Opera House), Akhnaton Gallery, Centre Guézira des Arts.

220 participants dans 56 présentations nationales.

Autres articles à ce numéro:

>> PhotoCairo

>> Going Places

 

Version à imprimer

Johanna Kandl, © Photo: artiste

Rashid Rana, © Photo: artiste

"This picture is not at Rest" de Rashid Rana (pavillon du Pakistan) est une image créée à partir d'un poster rassurant d'un paysage suisse, du genre qu'on peut acheter sur la rue au Pakistan afin de décorer sa salle de séjour. Le poster fut modifié numériquement: de loin, vous pouvez apprécier les couleurs vives des pâturages alpins, mais vu de plus près, vous pouvez distinguer des petites fenêtres artificielles formées d'images issues des informations télévisées, des traces d'un autre monde contemporain caché parmi cette paix idyllique et familière.

Dans "Ma bohême", Lisa Schiess (pavillon suisse) explore et mélange musique, sons, poésie et images de Suisse et d'Égypte en employant vidéos, concerts, projections, textes et une CD; le travail est intéressant parce que créé au Caire, mais il semblerait paradoxe que la Commission Fédérale (qui organise le pavillon suisse) ne se soit engagée en aucune manière pour la produire. Elle a simplement choisi cette oeuvre pour la Biennale puisque l'artiste était déjà sur place.

Paul Pfeiffer, © Photo: artiste

Dans son pavillon construit à cet effet, l'artiste américain, Paul Pfeiffer, montre des vidéos en petit et en grand dans une série de fragments baroques, des triomphes et des défaites à la prise de temples symboliques du monde contemporain: des gyms et des divans, là où nous sommes sûrs d’atterrir un jour ou l'autre. Au fond de la salle, le soleil est prêt à se lever ou à se coucher, mais se trouve immobilisé comme par un serrement de gorge.

Marcelo Salvioli, Federico Neder, © Photo: artistes

Dans un des soubassements de l'exposition, "Unstable Habitat" de Marcelo Salvioli et Federico Neder (pavillon argentin) ressemble à une salle authentique de la Biennale, sans dessus dessous et bordélique. Un effet probablement inattendu, mais heureux et convenant au contexte de cette exposition.


Comment ça marche

J'ai parlé de "pavillons", mais ce terme pourrait manquer de clarté. La Biennale du Caire (née en 1984 et ouverte à des participants extérieurs au monde arabe depuis 1986) est moulée sur la Biennale de Venise: il y a des pavillons nationaux (organisés par les représentants nationaux respectifs), les invités d'honneurs (sélectionnés par le conseil supérieur) et les invités spéciaux (également sélectionnés par le conseil supérieur). Ces sections sont toutes présentées dans les trois bâtiments d'exposition de la Biennale (Opera House, Akhenaton Gallery et Centre Guézira des Arts); chaque oeuvre est munie d'un carton où figure le nom de l'artiste, sa nationalité et la catégorie (pavillon, invité d'honneur, invité spécial). La conséquence en est, qu'il est extrêmement difficile de comprendre qui a été sélectionné par qui, à qui est le mérite, et à qui la faute. Ce fait ne semble guère gêner les organisateurs (officiellement intitulé "conseil supérieur"), puisque artistes et commissaires doivent tous respecter le manifeste du Commissaire Général Ahmed Fouad Selim (cette année sur la mythologie). Chaque oeuvre doit être soumise au jugement des organisateurs et peut être retirée de l'exposition à tout moment si elle manque de faire justice au prestige de la Biennale ou bien pourrait blesser une sensibilité religieuse.

Aperture, © Photo: Iolanda Pensa

Le règlement de la Biennale (qui se trouve sur Cairo Biennial CD-ROM 2003, source de mes derniers propos) nous fourni des allusions utiles pour saisir les implications sociales et politiques de l'exposition. À l'article 3, nous lisons "en accord avec la Charte des Nations Unies, la législation internationale et la Charte de la Ligue Arabe, les États qui violent la souveraineté d'autres pays, occupent un territoire étranger par force, ou tolèrent et soutiennent les violateurs ou occupants, ne seront pas autorisés à participer à la Biennale Internationale du Caire". C'est à cause de cet article que l'Israël n'a jamais été invité à la Biennale et c'est de cet article que nous pouvons comprendre pourquoi "La Biennale est un lien important pour le dialogue entre les É.U. et le monde islamique" – comme le cite le communiqué de presse de l'ambassade Américaine au Caire (12/11/2003). Les États-Unis dépensent beaucoup d'argent pour faire bonne figure et sont le seul pays à avoir un véritable pavillon, créé par une équipe de techniciens, spécialement importée des É.U.: le pavillon peut être extérieur (comme pour les projections vidéo de Judith Barry en 2001) ou couvert (comme la salle dans la salle construite pour l'exposition personnelle de Paul Pfeiffer).

Un autre pavillon qui mérite un coup d'oeil est celui de l'Italie. Les pays participant à la Biennale reçoivent une invitation officielle du Ministère égyptien des Affaires Étrangères et sont tenus à sélectionner et proposer leurs artistes. En Autriche, par exemple, une commission d'experts choisit un commissaire pour opérer la sélection de l'artiste. Le Fonds pour les Artistes Américains fait appel à des commissaires et aux institutions pour faire des propositions et sélectionne le représentant américain à l'aide d'un comité scientifique qui prend en considération "l’entente mutuelle et le respect entre les É.U. et le pays hôte" et ne tolère en aucun des propositions de galeries commerciales, des initiatives directes, ou un lien personnel quelconque entre les commissaires et les artistes. L'Italie à son tour a Monsieur Carmine Siniscalco qui sélectionne les artistes italiens pour toutes les biennales et triennales en Égypte, et organise des expositions d'artistes italiens en Égypte et vice-versa; il est le directeur de Studio S, une galerie commerciale à Rome et est le représentant commercial personnel de l'artiste et Ministre de la Culture en Égypte, Farouk Hosni.


À qui appartient la Biennale?

Aperture, © Photo: Iolanda Pensa

Un film documentaire présenté sur la CD-ROM officielle de la Biennale est un miroir parfait de l'exposition. Les images sont secouées, chancellent, tremblent et roulent, sans jamais néanmoins perdre le contact avec les véritables protagonistes de l'évènement: non pas les oeuvres d'art, mais le Ministre de la Culture en personne avec sa cour ardente, dont le comité supérieur.

Il semblerait que personne n'ait jamais eu grand chose à dire de l'organisation de la Biennale du Caire puisqu'elle a lieu de manière plus ou moins identique depuis bientôt 20 ans. Le Ministre de la Culture semble satisfait, le Président de l’Égypte, Mohammed Hosni Mubarak, semble satisfait, et pour ce qui est du monde de l'art à l'étranger, même s'il n'est pas satisfait, qu'importe! – il ne revient pas une seconde fois, et le public en général? Le public? Les organisateurs sont responsables de la presse et de la communication. "La Biennale est un secret" – dit Moataz Nasr – "Les organisateurs ont les moyens d'être l'organe unique et ils nous disent que nous sommes les meilleurs. Nous vivons dans un grand mensonge".

De plus, les organisateurs de la Biennale du Caire sont à peu près identiques avec ceux qui dirigent et parfois même participent aux expositions des pavillons égyptiens des Biennales de Venise et de Sao Paolo. Les artistes égyptiens et internationaux sélectionnés pour la Biennale du Caire ainsi que pour les autres pavillons mentionnés représentent le goût, la dynamique et les limitations d'un groupe de personnages qui à présent occupe les postes les plus élevés dans les institutions culturelles égyptiennes. Mais ce pays a plus que ce choix à offrir.


Au Caire il y a beaucoup plus que ça

À l'examen d'expositions et de projets tels que "Going Places", jusqu'en mars 2004; "PhotoCairo", Townhouse Gallery, 14 déc. 2003 - 7 jan. 2004; "Tabla Dubb" et "The Supreme Council" par Hassan Khan (deux performances présentées lors de "PhotoCairo"), "Two Days to Apocalypse" par Basim Magdy (une projection vidéo organisée par Aleya Hamza à Falaki Gallery), la discussion en table ronde sur la Biennale du Caire facilitée par Moataz Nasr au Centre Culturel Al Sawi (déc. 18-19, 2003) ainsi que "The Workshop 4" (un workshop sur les nouvelles médias organisé par Shady El Noshokaty pour les étudiants de la Faculté Nationale des Arts à Gezireh), il nous est facile à comprendre que de nombreux artistes et commissaires égyptiens sont conscients des limites et des fautes de la Biennale du Caire et qu'ils proposent des alternatives: En 2001, le Festival Al Nitaq (avec ses innombrables expositions) fut une démonstration convaincante de la richesse et de la vivacité de la scène artistique du Caire; cette année, le festival n'a malheureusement pas eu lieu et a vraiment manqué. Notre perception de l'art contemporain en Égypte ne mérite pas d'être complètement détruite par la basse qualité de sa Biennale et en même temps, les artistes contemporains de l'Égypte méritent bien l'attention normalement apportée par une Biennale.


Iolanda Pensa est critique d'art et auteur indépendant à Milan, Italie. Elle publie entre autres dans Flash Art, Tema Celeste, Nigrizia, Africa, Gulliver, Africa e Mediterraneo.

Version à imprimer  

Édition 5

©

ifa et Universes in Universe

Email  |  Éditorial, Impressum  |  Newsletter