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Édition 3 - Août 2004

Tony Chakar

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Opinions

T. Chakar (rechts) in Sharjah

Lorsqu'en avril de cette année, nous étions à la Biennale de Sharjah dans les Émirats Arabes Réunis, nous avons discuté avec des artistes en provenance de pays arabes sur l'intérêt actuel de "l'Ouest" pour l'art du monde Islamique. Les énoncés très intéressants étaient pour la plupart sceptiques. À l'avenir nous désirons publier des positions sur ce complexe thématique dans notre magazine online, articulées particulièrement par des artistes, des critiques d'art et des commissaires.

La nouvelle rubrique commence avec un texte de Tony Chakar, qui vit à Beyrouth au Liban. Nous lui avons demandé quels étaient, à ses yeux, les aspects positifs et négatifs de l'attention accrue portée à l'art des pays arabes ou des pays d'influence Islamique et s'il pensait que la réception "occidentale" avait de l'influence sur la production artistique de ces pays.

Gerhard Haupt et Pat Binder

 

Propos de Tony Chakar
Beyrouth, août 2003

>> Quelques oeuvres
photos, informations

Tony Chakar
*1968 Beyrouth où il vit. Architecte et artiste.

Ses oeuvres ont été exposées à Paris, Barcelone, Rotterdam, Le Caire, Stockholm, São Paulo, entre autres.

En 2003 il a participé aux biennales de Sharjah (Émirats Arabes Réunis) et Venise.

Site Internet de T. Chakar

 

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BildMuseet Umeå

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Afin de répondre à cette question particulière et simple en apparence, je suis tenté de recourir à Bachtin, qui raisonne que "chaque mot est dirigé envers une réponse et ne peut échapper à l'influence profonde de la réponse qu'il anticipe" (1). Mais cette réponse à son tour fait appel à deux thèmes essentiels: la nature même de la production artistique et ses récepteurs potentiels.

BildMuseet Umeå

Pour ceux qui suivent la production artistique contemporaine dans le monde arabe (ou plutôt dans certaines villes arabes), il est clair que cette production est préoccupée plus par la séduction des idées que par la création de formes (esthétiques). Parmi les artistes, il y a une conscience croissante du fait que les idées critiques ne se laissent pas canaliser par les médias relativement jeunes (du moins dans cette région du monde) comme la peinture et la sculpture et que ceux-ci engendrent des auditeurs passifs plutôt que des sujets actifs. Dans un certain sens donc, ces oeuvres peuvent être vues comme étant des propos sociaux, qui ont besoin de, et sont formés par des réponses anticipées; leurs éléments constitutifs sont interchangeables, qu'il s'agisse de photographies, de dessins, diagrammes, ou textes.

Cela dit, il serait utile de noter, que d'un côté, les images de masse de tout pays "tiers-monde" ont leurs références à l'Ouest, dans un monde en expansion globale permanente, et que de l'autre côté, les signifiants ne portent pas obligatoirement les mêmes signifiés, qui seraient comme une essence encapsulée.

Sharjah Biennale

Dans une situation contradictoire telle que la présente, le regard extérieur d'un individu pourrait certainement contribuer à la formation de la production artistique, tout particulièrement dans la situation "idéale" et d'ailleurs impossible, dans laquelle la pièce serait produite uniquement pour les consommateurs qui partagent l'espace immédiat de l'artiste/du producteur. "L'espace immédiat" ne réfère pas forcément à la société de l'artiste, mais peut signifier des personnages avec lesquels un dialogue a déjà été établit (et seulement dans ce cas pourrait-on parler d'une situation idéale).

Dans ce sens, lorsque le travail est "transporté" en Europe (à cause d'un intérêt qui par la suite dépérira – ne nous faisons pas d'illusions sur ce fait), un effort double doit être fait: nous savons tous que "l'Ouest" possède déjà un "système de réception", un réseau d'opinions sur ce qui se passe en Orient, ce qui devrait s'y passer, et quelles seraient ses réactions; un réseau d’opinions, dirai je, en lignée directe avec l'ancien discours Orientaliste, qui semble être loin de disparaître. À la suite du 11 septembre, ces idées ont poussé certains érudits aux États-Unis à lire ou à recommander la lecture du Coran, pensant sincèrement que ce moyen leur ouvrirait un aperçu des sociétés arabes.

50ème Biennale de Venise, 2003

Ces idées ont également engendré des situations plutôt gênantes – c’est le moins qu'on puisse dire. La légère surprise, mal dissimulée sur le visage de l'interlocuteur, lorsqu'un artiste arabe fait référence à Walter Benjamin par exemple. Ou bien la fausse lecture d'une certaine oeuvre par une personne même bien-intentionnée, à cause du parti pris qu'une attitude critique articulée par un occidental vis-à-vis d’une société arabe (sur la base des Droits Universels de l'Homme par exemple) doit nécessairement coïncider avec l'attitude critique d'une personne vivant dans la société concernée.

Je soutiens que ces généralisations ne s'opèrent pas au niveau de l'individu, mais sur un niveau social plus large, et c'est pour cette raison qu'elles sont plus insinuantes et plus difficiles à subvertir pour un artiste individuel. De plus, les généralisations fonctionnent dans les deux sens et les artistes arabes ont également beaucoup d'a prioris sur l'Ouest qui doivent être déchu avant qu'un dialogue réel puisse être abordé, un dialogue "idéal" au sens décrit plus haut, un dialogue qui dure dans le temps et qui transcende ce qui est à la mode ou pas.


1) Bakhtin, M. The Dialogic Imagination: Four Essays, Austin, University of Texas Press, 1981.

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