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Édition 3 - Août 2004

Arahmaiani

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Artiste & Oeuvre

Arahmaiani

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En Indonésie, Arahmaiani est un personnage clé dans la scène artistique actuelle. Elle voyage beaucoup et même si sa réputation internationale est surtout basée sur ses performances, elle travaille également avec la peinture, le dessin, l'installation, la poésie, la danse et la musique. Ce texte sur les aspects individuels et les contextes de son travail est basé sur un long entretien à Berlin, en juillet 2003.

 

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Actuellement, Arahmaiani représente son pays, aux côtés de Dadang Christanto, Tisna Sanjaya et Made Wianta au pavillon National de l’Indonésie à la 50ème Biennale de Venise. La présentation s’appelle „Le paradis perdu: deuil du monde“. Partant de l’attentat terroriste du 12 octobre 2002 à Bali dans lequel 202 personnes ont trouvé la mort, les artistes thématisent la violence et les conséquences pour leur pays propre ainsi que pour le monde entier. L'actualité du problème a été soulignée une fois de plus par l'attentat sur l'Hôtel Mariott de Jakarta, le 5 août 2003.

D'une perspective occidentale, le thème du Pavillon Indonésien pourrait sembler être, en premier lieu, la perte d'un paradis de villégiature exotique. Pour Arahmaiani et ses concitoyens, néanmoins, les conséquences des attentats sont à un tout autre niveau. Bien qu'ils soient eux-mêmes victimes d'un petit groupe de terroristes – et ce, de manière diverse – dans les pays occidentaux, ils sont sujets à discrimination et traités comme des suspects potentiels.

Quelques dates concernant l’histoire récente de l’Indonésie

1942 - 1945
Occupation Japonaise

1947 - 1949
Guérilla contre les Hollandais qui pensaient récupérer leur pouvoir colonial datant de la fin du 16 ème siècle.

1950
Constitution de la République Indonésienne avec Sukarno comme premier président.

1965
La tentative de coup d’état par les communistes ainsi que certains officiers échoue. Entre 500.000 et 1 million de personnes sont victimes de la vengeance des vainqueurs.

1966
Général Suharto prend le pouvoir jusqu’en 1998.

1996 - 1998
Protestations, en partie brutalement écrasées. Suharto démissionne en mai 1998. Habibie devient président intérimaire.

1999
Premières élections libres depuis 44 ans. Victoire du PDI-P sous Megawati Sukarnoputri, fille de Sukarno. Elle doit reléguer l’office du président au dirigeant musulman modéré Abdurrahman Wahid et devient vice-présidente.

September 1999
Déclaration d’indépendance du Timor Oriental. Les milices pro-indonésiennes massacrent des milliers de Timorais orientaux. Intervention militaire de l’ONU.

2001
Destitution de Wahid. Megawati Sukarnoputri devient présidente.

Arahmaiani - 50ème Biennale de Venise

 

Arahmaiani - 50ème Biennale de Venise

À Venise, Arahmaiani nous montre un travail sur son expérience personnelle avec cette attitude. Le "11 juin 2002" (c'est le titre de l'installation), elle était en route pour le Canada et dû faire escale à Los Angeles pour changer d'avion. Elle y fut arrêtée par l'office d'immigration parce qu'elle ne possédait pas de visa pour l'escale. À la suite d'un interrogatoire long de quatre heures, on décida de l'enfermer dans une cellule. Ce n'est qu'après de longues négociations qu'on lui autorisa finalement de passer la nuit dans la chambre d'hôtel qu'elle avait réservée – mais seulement sous surveillance étroite. Afin d'être bien sûr qu'il ne se passerait rien, l'officier – lui-même un musulman originaire du Pakistan – passa toute la nuit avec elle à l'intérieur de la chambre.

Lors de notre interview avec Arahmaiani, un an plus tard, elle était encore sous l'effet profond de choc de cette expérience. L'offense était pour elle d'autant plus profonde puisque - tout comme nombre d'autres Indonésiens – elle affronte depuis longtemps déjà l'intolérance et les interprétations militantes de l'Islam. Au lieu d'être perçus comme des alliés, ils sont le plus souvent traités comme une menace et harcelés.

D'une population totale de 220 millions d'habitants, presque 90 pour cent sont musulmans, ainsi faisant, l'Indonésie est le pays musulman le plus grand au monde. Même si en apparence les groupes islamiques radicaux et violents font la une au niveau international, il s'agit d'une minorité. La majorité des musulmans d'Indonésie pense différemment. Des mouvements contraires, tel Le Réseau Libéral Musulman s'investissent dans une interprétation moderne de l'Islam et défendent sa tradition libérale et modérée. Ce sont des marchands arabes qui, à partir du 15ème siècle, ont contribué à la propagation de l'Islam en Indonésie; eux mêmes étaient fortement influencés par le Soufisme, ne prêchant donc pas l'observance stricte de règles irréfutables, mais recherchant plutôt une relation spirituelle et individuelle avec le Créateur. La tolérance immanente de cette ligne de pensée liée à une affinité directe avec des éléments hindous et bouddhistes a permis à nombre de cultures pré-musulmanes de survivre jusqu'à nos jours. V.S. Naipaul stipule même que les habitants de l'île de Java auraient sélectionné au sein des croyances importées au cours des siècles, les traits qui leur paraissaient être les plus humains et les plus libérateurs afin d'en créer leur religion propre.

Etalase, 1994

 

Do Not Prevent the Fertility of the Mind, 1996

Arahmaiani, une musulmane avouée, confirme le principe de cet énoncé. Son père est un érudit musulman et sa mère originaire de Java, est d'extraction Hindou-bouddhiste. Le nom de leur fille était déjà un compromis: Elle raconte volontiers que "Arahma" vient de l'Arabe et signifie "aimant" et "iani" est dérivé du mot Hindou pour "être humain". Son éducation vit la co-existence des deux religions: du côté de son père, une culture et un enseignement musulman stricts, du côté de sa mère la possibilité d'apprendre les danses Javanaises, les chansons, les légendes, la poésie, et les coutumes.

Arahmaiani considère que sa disposition naturelle à jouer un rôle médiateur entre les univers différents serait ancrée dans ses origines. La communication entre les cultures n'est jamais libre de conflits, ni au sein de sa propre famille, ni dans son pays natal. Sa perception d'appartenir à une "autre" culture, néanmoins, découle plus particulièrement de ses voyages en "Occident", tout d'abord en Australie, et plus tard en Europe. Ce n'est que lorsqu'elle se trouva face à l'art et à la philosophie occidentale qu'elle prit conscience du gouffre existant entre ce monde et le sien "d'un style de vie et d'une pensée d’imprégnation musulmane-hindoue-bouddhiste-animiste". Arahmaiani cherche le grand défi, à ce niveau, d'aborder en premier lieu les problèmes conflictuels afin d'établir une base réaliste pour découvrir les intérêts mutuels et les aspects complémentaires, et d'en aboutir à une tolérance réciproque.

En 1991/92, lors d'un cours post-licence dans la ville Néerlandaise de Enschede, ses professeurs lui firent le conseil d'étudier Joseph Beuys, ayant reconnu une parenté entre les intentions de l'une et les concepts de l'autre. Bien qu'elle considérât que le contexte spécifiquement allemand était essentiel à la compréhension de Beuys, elle fut étonnée de trouver un grand nombre de similitudes avec les opinions asiatiques qui lui étaient familières. Elle a remarqué que tout particulièrement les interprétations spirituelles de la nature semblaient être apparentées, seule "l'enveloppe" symbolique en était différente.

Nation for Sale, 1996

 

Burning  Body - burning country (II), 1999

Elle retrouva la confirmation de ses propres intentions artistiques dans les composants activistes du "champ élargi de l'art" de Beuys: il s'agit pour elle, non seulement de créer une belle surface, mais de cercler les problèmes, de provoquer le discours et la réflexion, d'intervenir dans des débats et de participer à des processus sociaux. Déjà, lors de ses études au début des années 1980 à Bandung, elle était gênée par le fait que le cours était basé sur la naissance de l'époque moderne en occident et, de ce fait, n'avait rien à voir avec les réalités de son pays. À l'origine, des actions publiques lui firent la réputation d'une rebelle; elle fut emprisonnée et exclue de son école. Ce furent des années de formation pour sa conviction – qu'elle garde jusqu'à aujourd'hui – qu'il est nécessaire d'articuler ses pensées de voix forte et de manière aiguisée afin d'être entendu et pris au sérieux.

La répression, l'injustice, la violence, la mise au pas, la liquidation du pays à l'Occident et nombre d'autres abus lors du régime militaire de Suharto (1966 - 1998) ont été une source continue de revendications. Arahmaiani a elle-même fait l'expérience des privations de l'injustice sociale dans un pays du tiers-monde, lorsqu'elle vécut pendant un certain temps dans la rue. Sa critique impétueuse du capitalisme est enracinée dans des expériences et observations directes. Lorsqu'elle réfléchit sur le fait que, tôt ou tard, tout devient un objet de consommation – même la culture et les arts – c'est le système qu'elle met en question.

Offerings from A to Z, 1996

 

His-Story, 2000/2001

Un thème central de son travail est la situation de la femme. En accord avec son principe de ne pas se mêler aux choses en dehors de son expérience personnelle immédiate et d'utiliser, autant que possible, sa situation personnelle comme base de travail, elle est concernée par la question de sa propre identité en tant que femme au sein d’une communauté régie par les hommes: femme artiste d'approche critique, femme asiatique et musulmane au contexte international de ses nombreux voyages et séjours à l'étranger.

De plus, Arahmaiani considère qu'en tant que femme artiste, il est son devoir d'utiliser sa présence publique pour attirer l'attention à la violence contre les femmes en général et à la discrimination au coeur de la société musulmane indonésienne en particulier. Un aspect de base de sa critique de l'interprétation prédominante de l'Islam est que les hommes en dérivent leur revendication d'autorité unique dans les prises de décisions. Elle agit contre une lecture de la religion prise comme un ensemble rigide de règlements et défend son droit à une interprétation personnelle, en tant qu'individu et femme. Elle enregistre le fait qu'elle doive faire face à des hostilités chaque fois qu'elle présente un travail ou une performance de caractère critique comme une conséquence de sa stratégie provocatrice dans l'espoir qu'elle aura au moins déclanché un processus de réflexion.

Money World, 2002

À la suite des attentats du 11 septembre 2001, néanmoins, Arahmaiani se sentit poussée à critiquer non seulement une interprétation orthodoxe de l'Islam, mais de même, sa stigmatisation fondamentale. Quand elle tente de faire comprendre surtout aux gens du monde occidental que, tout comme eux-mêmes, la majorité des musulmans aiment la paix, elle ne considère pas défendre cette religion, mais simplement un pur bon sens.

Gerhard Haupt et Pat Binder
Août 2003

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Édition 3

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