Arahmaiani |
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En Indonésie, Arahmaiani est un personnage clé dans la scène artistique actuelle. Elle voyage beaucoup et même si sa réputation internationale est surtout basée sur ses performances, elle travaille également avec la peinture, le dessin, l'installation, la poésie, la danse et la musique. Ce texte sur les aspects individuels et les contextes de son travail est basé sur un long entretien à Berlin, en juillet 2003.
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Arahmaiani, une musulmane avouée, confirme le principe de cet énoncé. Son père est un érudit musulman et sa mère originaire de Java, est d'extraction Hindou-bouddhiste. Le nom de leur fille était déjà un compromis: Elle raconte volontiers que "Arahma" vient de l'Arabe et signifie "aimant" et "iani" est dérivé du mot Hindou pour "être humain". Son éducation vit la co-existence des deux religions: du côté de son père, une culture et un enseignement musulman stricts, du côté de sa mère la possibilité d'apprendre les danses Javanaises, les chansons, les légendes, la poésie, et les coutumes. Arahmaiani considère que sa disposition naturelle à jouer un rôle médiateur entre les univers différents serait ancrée dans ses origines. La communication entre les cultures n'est jamais libre de conflits, ni au sein de sa propre famille, ni dans son pays natal. Sa perception d'appartenir à une "autre" culture, néanmoins, découle plus particulièrement de ses voyages en "Occident", tout d'abord en Australie, et plus tard en Europe. Ce n'est que lorsqu'elle se trouva face à l'art et à la philosophie occidentale qu'elle prit conscience du gouffre existant entre ce monde et le sien "d'un style de vie et d'une pensée d’imprégnation musulmane-hindoue-bouddhiste-animiste". Arahmaiani cherche le grand défi, à ce niveau, d'aborder en premier lieu les problèmes conflictuels afin d'établir une base réaliste pour découvrir les intérêts mutuels et les aspects complémentaires, et d'en aboutir à une tolérance réciproque. En 1991/92, lors d'un cours post-licence dans la ville Néerlandaise de Enschede, ses professeurs lui firent le conseil d'étudier Joseph Beuys, ayant reconnu une parenté entre les intentions de l'une et les concepts de l'autre. Bien qu'elle considérât que le contexte spécifiquement allemand était essentiel à la compréhension de Beuys, elle fut étonnée de trouver un grand nombre de similitudes avec les opinions asiatiques qui lui étaient familières. Elle a remarqué que tout particulièrement les interprétations spirituelles de la nature semblaient être apparentées, seule "l'enveloppe" symbolique en était différente. |
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Elle retrouva la confirmation de ses propres intentions artistiques dans les composants activistes du "champ élargi de l'art" de Beuys: il s'agit pour elle, non seulement de créer une belle surface, mais de cercler les problèmes, de provoquer le discours et la réflexion, d'intervenir dans des débats et de participer à des processus sociaux. Déjà, lors de ses études au début des années 1980 à Bandung, elle était gênée par le fait que le cours était basé sur la naissance de l'époque moderne en occident et, de ce fait, n'avait rien à voir avec les réalités de son pays. À l'origine, des actions publiques lui firent la réputation d'une rebelle; elle fut emprisonnée et exclue de son école. Ce furent des années de formation pour sa conviction – qu'elle garde jusqu'à aujourd'hui – qu'il est nécessaire d'articuler ses pensées de voix forte et de manière aiguisée afin d'être entendu et pris au sérieux. La répression, l'injustice, la violence, la mise au pas, la liquidation du pays à l'Occident et nombre d'autres abus lors du régime militaire de Suharto (1966 - 1998) ont été une source continue de revendications. Arahmaiani a elle-même fait l'expérience des privations de l'injustice sociale dans un pays du tiers-monde, lorsqu'elle vécut pendant un certain temps dans la rue. Sa critique impétueuse du capitalisme est enracinée dans des expériences et observations directes. Lorsqu'elle réfléchit sur le fait que, tôt ou tard, tout devient un objet de consommation – même la culture et les arts – c'est le système qu'elle met en question. |
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Un thème central de son travail est la situation de la femme. En accord avec son principe de ne pas se mêler aux choses en dehors de son expérience personnelle immédiate et d'utiliser, autant que possible, sa situation personnelle comme base de travail, elle est concernée par la question de sa propre identité en tant que femme au sein d’une communauté régie par les hommes: femme artiste d'approche critique, femme asiatique et musulmane au contexte international de ses nombreux voyages et séjours à l'étranger. De plus, Arahmaiani considère qu'en tant que femme artiste, il est son devoir d'utiliser sa présence publique pour attirer l'attention à la violence contre les femmes en général et à la discrimination au coeur de la société musulmane indonésienne en particulier. Un aspect de base de sa critique de l'interprétation prédominante de l'Islam est que les hommes en dérivent leur revendication d'autorité unique dans les prises de décisions. Elle agit contre une lecture de la religion prise comme un ensemble rigide de règlements et défend son droit à une interprétation personnelle, en tant qu'individu et femme. Elle enregistre le fait qu'elle doive faire face à des hostilités chaque fois qu'elle présente un travail ou une performance de caractère critique comme une conséquence de sa stratégie provocatrice dans l'espoir qu'elle aura au moins déclanché un processus de réflexion. |
À la suite des attentats du 11 septembre 2001, néanmoins, Arahmaiani se sentit poussée à critiquer non seulement une interprétation orthodoxe de l'Islam, mais de même, sa stigmatisation fondamentale. Quand elle tente de faire comprendre surtout aux gens du monde occidental que, tout comme eux-mêmes, la majorité des musulmans aiment la paix, elle ne considère pas défendre cette religion, mais simplement un pur bon sens. Gerhard Haupt et Pat Binder |
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